Après le festival Mai.Poésie auquel il a participé en Martinique, l’emblématique écrivain haïtien Lyonel Trouillot est en Guadeloupe, invité par la Ville de Basse-Terre, les 16 et 17 mai, pour deux jours de célébration d’Haïti. Entretien.
L’année 2025 marque le bicentenaire de l’ordonnance du 17 avril 1825*, par laquelle la France a contraint Haïti à s’acquitter d’une indemnité financière au prix de son indépendance. Quel est votre ressenti sur ce fait historique ?
Lyonel Trouillot : La dette d’Haïti est un crime historique. Il faut que la France, et plus globalement, l’Occident, reconnaissent que leur avènement, leur domination est fondée sur des crimes historiques. Les conditions de production de leur richesse sont les conditions de production de la pauvreté des autres. Il faut qu’ils reconnaissent, non seulement sur le plan économique, mais aussi sur le plan culturel, humain… qu’ils ont imposé au monde un système économique, voire une épistémologie. Il faut qu’ils reconnaissent au monde le droit à une désobéissance épistémique pour reconstituer le discours sur l’histoire.
D’un autre côté, pour nous, Haïtiens et pour les pays du Sud, il est important de voir comment les oligarchies qui dominent nos territoires ont contribué à cet avènement. Si nous ne le faisons pas, nous sommes dans le mensonge. La vérité est toujours révolutionnaire.
Cette dette est un deal entre une puissance coloniale et une oligarchie qui représente cette puissance et qui a fait elle-même sa richesse de la pauvreté et des malheurs du reste de la population.
Une véritable stabilité est-elle envisageable pour permettre au pays de se construire sereinement ?
Haïti n’a pas besoin aujourd’hui de stabilité. Haïti ne peut pas produire de la stabilité. Ce qui s’est passé en Haïti, c’est une révolution extrêmement moderne, la plus moderne des temps modernes : anti-coloniale, anti-esclavagiste, anti-raciste… qui a donné lieu, et c’est un paradoxe, à la constitution d’un Etat qui ressemble à un ancien régime.
Cet Etat, qui s’est contenté de laisser s’enrichir les riches et de renforcer la dépendance vis-à-vis de l’étranger, en laissant le peuple démuni, ne peut plus fonctionner. En fait, Haïti est en 1789.
Quel avenir pour le pays ?
Il faut laisser faire 1789 ! Cela peut prendre deux mois, trois mois… pour aller vers une rupture réelle, radicale. On ne peut plus fonctionner dans la continuité.
En attendant cette « rupture », pour la population en souffrance, l’agonie est longue…
Oui. Mais, depuis 20 ans, qu’essaye-t-on de faire ? On essaye de faire survivre un Etat et un système social qui ne peuvent plus survivre !
En dehors de Port-au-Prince, qui concentre une bonne part des faits de violence, il y a-t-il une impression de normalité ?
Il n’y a pas de normalité en Haïti. C’est vrai que dans d’autres villes, la violence n’est pas aussi présente qu’à Port-au-Prince où on entend en permanence des coups de feu…
Pourtant, vous vivez à Port-au-Prince…
Oui. J’ai juste besoin de sentir battre mon cœur et c’est là qu’il bat, à Port-au-Prince.
Pendant deux jours, les 16 et 17 mai, vous serez à Basse-Terre. Que proposerez-vous ?
Ayibobo Haïti est un hommage. Il y aura des conférences, des lectures de textes, avec une attention particulière aux textes de Frankétienne, décédé récemment, et de René Philoctète**, dont on célèbre les 30 ans de la disparition.
Entretien : Cécilia Larney
* L’ordonnance de 1825 exige à Haïti une indemnité de 150 millions de francs-or à régler en cinq annuités à la Caisse des dépôts et consignations (CDC), chargée de répartir cette somme entre les anciens colons.
**Poète, dramaturge, romancier et journaliste haïtien, René Philoctète (1932-1995) a cofondé le mouvement littéraire Spiralisme avec Jean-Claude Fignolé et Frankétienne dans les années 1960.
Ayibobo Haïti : théâtre, littérature et cinéma à Basse-Terre

- Le programme d’Ayibobo Haïti débute, vendredi 16 mai, à l’auditorium Jérôme-Cléry (Basse-Terre) par une séquence intitulée Haïti. Ecrire en pays bouleversé. Lyonel Trouillot s’entretiendra avec Michel Reinette et Franck Garain. Suivra une lecture théâtralisée de textes de Frankétienne et René Philoctète, proposés par Lyonel Trouillot, avec Karen Geoffroy (voix, chant), Joël Jernidier (voix) et Didier Juste (percussions).
- Samedi 17 mai, Ayibobo Haïti proposera un cycle cinématographique pour revisiter l’histoire haïtienne, depuis la dette qui a fait sombrer le pays jusqu’au tremblement de terre qui a redéfini ses contours. Au programme : Les âmes Bossales, de François Perlier (à 14 heures), Papa Doc, l’Oncle Sam et les Tontons Macoutes, de Nicolas Jallot et Émile Rabaté (à 16 heures) et Haïti, la rançon de la liberté, de Michel Reinette et Gilles Gasser (à 18 heures).
Basse-Terre, auditorium Jérôme-Cléry. Vendredi 16 mai, à 20 heures : Haïti. Ecrire en pays bouleversé (entretien et lecture théâtralisée). Billetterie : https://bit.ly/4cwAdth. [email protected]. Samedi 17 mai, de 14 à 20 heures : projection de documentaires. Billetterie : https://bit.ly/3YmQ2gn.